Le vieux norrois (ou norrǿnt mál, à l'origine des langues scandinaves actuelles) correspond aux premières attestations écrites de la langue scandinave médiévale (langue germaniques septentrionale).
Néanmoins, le vieux norrois n'étant pas entièrement uniforme mais s'agissant plutôt d'une collection de dialectes avec de nombreuses affinités, il doit donc être compris comme un terme générique pour désigner le vieil islandais, le vieux norvégien, le vieux danois, le vieux suédois et le vieux gotlandais, — mais il est souvent utilisé comme synonyme de vieil islandais, car la majorité des sources viennent d'Islande[5]. Même pris dans son sens le plus restreint, soit uniquement la langue médiévale norvégienne et islandaise, bien qu'il y avait une unité entre les différents dialectes du monde scandinave occidental durant cette période, le norvégien de 750 n'est pas le même que celui de 1350. De plus, lorsque les colons norvégiens emportèrent leur langue en Islande, elle finit par diverger, par certains aspects, de la langue mère norvégienne[1].
En vérité cette vision en trois branches est simpliste, et le vieux norrois possède des similitudes avec le groupe occidental que n'a pas le gotique, et des similitudes avec le gotique que n'a pas le groupe occidental[5].
On distingue traditionnellement trois périodes dans l'évolution des langues scandinaves :
avant le VIIe siècle, le stade de l'ancien scandinave, ou proto-norrois qui ne comprenait pas encore de variantes dialectales significatives ;
entre les VIIe et XVe siècles, celui du vieux scandinave, qui se différenciait en deux dialectes très similaires :
Les descendants actuels du scandinave occidental sont l'islandais, le féroïen (des îles Féroé) et le norvégien ; des trois, c'est ce dernier qui a changé le plus radicalement, en partie à cause de l'influence du danois et du suédois, mais surtout du fait de l'orientation donnée par l'évolution linguistique générale de la Scandinavie.
à partir du XVe siècle, enfin, on entre dans l'ère des langues scandinaves modernes : principalement le norvégien, le danois, le suédois et l'islandais.
Le vieux norrois est de loin la variété la mieux attestée d'ancien scandinave ; le norrois « classique » est le langage dans lequel ont été rédigées les sagas islandaises des XIIe et XIIIe siècles et les Eddas, dont l'Edda en prose de Snorri Sturlusson, décrivant la mythologie viking avec une neutralité étonnante de la part d'un clerc.
Le vieux norrois a influencé de nombreuses langues : le russe, l'anglais, le normand et le français via le normand. Les langues qui en sont aujourd'hui les plus proches sont l'islandais, qui en conserve un fonds très important, le féroïen et dans une moindre mesure les langues scandinaves.
En France, seule la toponymie normande est caractérisée par la présence d'appellatifs toponymiques issus du vieux norrois (búð / bóð > -beuf « baraque, village », topt / toft > -tot « établissement », bekkr > -bec, Bec- « ruisseau », lundr > -lon(de) « bois, bosquet », lunda > londe « bois, bosquet », Þorp > Torp(s), -tour(p) « hameau », Þveit > -tuit, Thuit- « essart », etc.). Ceci est dû à l'installation de colons danois, norvégiens et anglo-scandinaves au Moyen Âge qui se poursuit sur quelques générations après la création d'une principauté normande (en 911). En revanche, le vocabulaire d’origine norroise du normand, le plus souvent relatif au monde maritime, s'est en partie diffusé en français.
en alphabet latin, qui fut introduit en même temps que le christianisme peu après l'an 1000.
Dans l'alphabet latin, il a été nécessaire d'ajouter certains signes pour représenter tous les sons de l'ancien scandinave. Voici un tableau des voyelles de l'ancien scandinave telles qu'elles étaient représentées dans l'alphabet latin :
Voyelles fermées
Valeur
i
[i]
í
[iː]
y
[y]
ý
[yː]
u
[u]
ú
[uː]
Voyelles ouvertes
Valeur
e
[ɛ]
é
[eː]
ø
[ø]
œ
[œː]
o
[ɔ]
ó
[oː]
æ
[ɛː]
a
[a]
á
[aː], [ɑː]
ǫ
[ɒ]
Les symboles ǫ, ę (ne sont plus utilisés et n'apparaissent donc pas dans le tableau) et ø (à l'origine une ligature par superposition de o et e) datent du XIIe siècle. Ils ont été proposés pour l'orthographe du vieil islandais par l'auteur du Premier traité de grammaire. Æ est emprunté au vieil anglais. Le vieux norrois connaissait en outre trois diphtongues : æi, ǫu et æy. Ces diphtongues étaient transcrites par des digrammes dans les manuscrits.
Pour les consonnes, on emprunta les graphèmesþ (th dur, comme dans faith en anglais, souvent translittéré th) et ð (th doux, comme dans le the anglais ; souvent translittéré dh) au vieil anglais ; le signe y transcrivant la voyelle labiale d'avant fermée fut aussi emprunté au vieil anglais.
Le vieux norrois faisait la différence entre syllabes accentuées et syllabes non accentuées. L'accent portait habituellement sur le radical des mots, c'est-à-dire, dans la plupart des cas, sur la première syllabe. Dans les mots composés, le premier élément portait en général l'accent primaire, mais un accent secondaire apparaissait sur le deuxième élément. Dans certains cas, c'était le préfixe qui était porteur de l'accent (et le radical restait alors inaccentué).
le suffixe accentué d'origine se terminait par la voyelle « a », « o long », « i » ou « u » : le nom relevait alors de la déclinaison forte ;
le suffixe accentué d'origine se terminait par la séquence « an », « on » ou « in » : le nom relevait alors de la déclinaison faible. À cette déclinaison appartenaient également quelques noms se terminant en « nd » ou en « r », ou bien ceux qui ne se terminaient pas par un suffixe accentué.
Le vieux norrois comportait trois genres grammaticaux : masculin, féminin, et neutre. Le genre dépendait généralement du suffixe accentué originel du nom ; en général :
les noms en « -a » étaient masculins ou neutres ;
les noms en « -o » long étaient féminins ;
les noms en « -u », masculins ;
les noms en « -n », « nd » ou « r » étaient soit masculins soit féminins.
À l'origine, il existait trois nombres grammaticaux : le singulier, le pluriel et le duel, comme en grec ancien ou en breton. À l'époque classique, toutefois, le duel s'était depuis longtemps fondu avec le pluriel en ce qui concerne les noms, du moins.
À l'origine, les adjectifs étaient déclinés comme les noms ; cependant, déjà en proto-germanique, on adopta certaines formes pronominales qui donnèrent naissance à une déclinaison adjectivale particulière, mixte des déclinaisons nominale et pronominale.
Formes spécifiquement pronominales
cas
singulier
pluriel
masculin
féminin
neutre
masculin
féminin
neutre
nominatif
-
-
t
ir
-
-
accusatif
(a)n
a
t
-
-
-
datif
um
ri
u
-
-
génitif
-
rar
-
ra
ra
ra
Les autres formes utilisent :
les terminaisons en « a » au masculin et au neutre ;
et les terminaisons en « ō » au féminin.
Cette déclinaison est utilisée lorsque l'adjectif fonctionne comme prédicat ou modifie une phrase nominale indéfinie. Cette déclinaison est aussi appelée « déclinaison forte ».
Dans les phrases nominales définies, on utilise en revanche une « déclinaison faible » :
terminaison « an » au masculin et au neutre singulier ;
terminaison « ōn » au féminin singulier ;
au pluriel, terminaison « um » au datif pour tous les genres, et « u » à tous les autres cas.
la plupart des adjectifs utilisaient le suffixe « -ar » pour former le comparatif et « -ast » pour le superlatif : « ríkr » → « ríkari » → « ríkarstr », « puissant » ;
mais un petit groupe d'adjectifs formaient leur comparatif et leur superlatif avec les suffixes « -r » et « -st » associés à une inflexion provenant d'un « i » disparu qui précédait la finale : « langr » → « lengri » → « lengstr », « long ».
Ils s'organisent en trois nombres (singulier, duel, pluriel) et quatre cas, mais ne font pas de différences entre les genres. Ce sont les pronoms de la première et de la deuxième personne, et les réflexifs de la troisième personne.Parmi les nombres, le duel correspond, comme en grec ancien, aux situations où deux individus (ou deux groupes) sont face à face.
Cette série s'organise en distinguant les genres (masculin et féminin) et correspond à une racinegermanique caractérisée par un préfixe « h- ». En vieux norrois, ce système s'utilise uniquement au singulier et seulement pour les genres masculin et féminin. Le génitif tient lieu de pronoms et d'adjectifs possessifs.
Les démonstratifs de distance sont formés sur deux paradigmes, « sa » (qui n'est utilisé que pour le nominatif singulier et le féminin), et « þa » :
Démonstratifs de distance
Cas
Singulier
Pluriel
masculin
féminin
neutre
masculin
féminin
neutre
nominatif
sá
sú
þat
þeir
þær
þau
accusatif
þann
þá
þat
þá
þær
þau
datif
þeim
þeirra
því
þeim
þeim
þeim
génitif
þess
þeirrar
þess
þeirra
þeirra
þeirra
Les démonstratifs de proximité étaient à l'origine formés sur la base des démonstratifs de distance, à laquelle on ajoutait les suffixes « -si » ou « -a », voire les deux comme dans l'ancien scandinave « þansi ». Ce système n'est cependant jamais attesté de façon consistante ; la racine et le suffixe semblent s'être mêlés très tôt pour former un nouveau radical de déclinaison très irrégulière. C'est pourquoi les formes de ce type de pronom démonstratif a beaucoup varié en fonction des lieux et des époques.
Comme les autres langues germaniques, le norrois fait la distinction entre verbes forts et verbes faibles.À l'origine, les verbes faibles étaient formés d'un simple radical auquel on ajoutait un suffixe accentué ; au passé, on se contentait d'ajouter une terminaison dentale à ce suffixe accentué.
Les verbes forts, au contraire, ne possédaient pas de suffixe accentué ; le changement de temps était marqué par une alternance vocalique dans le radical.En norrois, le système temporel se construit autour d'une seule opposition : passé face à tout ce qui n'est pas passé (en particulier, le présent). On retrouve un système similaire dans les langues sémitiques, qui opposent l'accompli à l'inaccompli (voir l'article Arabe standard moderne).
↑Olaf Mikkelsen et Patrick Guelpa, Le Premier traité grammatical islandais dans l’histoire des théories linguistiques, (présentation en ligne, lire en ligne), p. 1.